En concert dans toute l'Europe pour présenter leur nouvel album prévu pour début 2003 et leur projet
autour du film "La Haine" de Matthieu Kassovitz, Asian Dub Foundation se trouvait à Nantes le 29 juin
2002. Juste avant de monter sur scène pour jouer leur interprétation du long-métrage français, Dr Das,
bassiste, et Pandit G, "chirurgien de consoles", ont accepté de répondre à nos questions et de discuter
avec nous des problèmes politiques et sociaux qui secouent l'Europe et le Monde, dans leur histoire et
leur actualité.
Vous semblez avoir une relation particulière avec le public français…
Dr Das : C'est lié à notre histoire. Au milieu des années 90, quand on a débuté, l'Angleterre était
vraiment obsédé par la brit-pop et tout ce qui s'y rapportait : toujours cette influence des vieilles
musiques, et jamais aucun propos sur ce qui se passe… Nous étions complètement à l'opposé de ça, puisque
nous utilisions la technologie et parlions de ce qui arrivait dans notre pays. Voilà pourquoi il était
très difficile d'obtenir un quelconque retour du public, à cette époque. Et pour certaines raisons, les
choses se présentaient mieux en France : nous avons fait un ou deux concerts, et ça a commencé à
prendre. Le public était plus ouvert ici, il écoutait de tout, la brit-pop a d'ailleurs beaucoup marché
en France aussi.
Vous devez certainement avoir des contacts avec des groupes français...
Dr Das : Bien-sûr… nous avons joué avec Zebda, Le Peuple de l'herbe...
Pandit G : Assassin, les Fabulous
Trobadors, Manu Chao...
Dr Das : On essaie de faire venir Manu Chao pour qu'il joue sur le nouvel album.
Il y a beaucoup de groupes intéressants ici. Mais en Angleterre, les gens connaissent seulement ceux qui
rentrent dans les charts : Daft Punk, Air, des groupes comme ça. Mais nous disions il y a déjà longtemps
qu'il se passait des choses intéressantes ici.
Il semble clair à présent que la France se divise grossièrement en deux parties : des gens "ouverts", et
d'autres beaucoup plus étroits, qui nous ont conduit entre autres à ce qui s'est passé le 21 avril...
Dr Das : Je vois…
Comment vous est venue l'idée de jouer "La Haine" ?
Dr Das : Je crois que c'est une idée de Chandrasonic (guitariste du groupe, ndlr).
Pandit G : Oui, c'est
ça. Nous avons fait un festival l'année dernière à Londres, et Chandrasonic a discuté avec des gens qui
avaient l'idée de projeter "La Haine" parce que c'est un film d'actualité au Royaume-Uni ; il y a eu des
émeutes l'été dernier dans le nord de l'Angleterre parce que le parti national anglais, le parti
fasciste, avait organisé de nombreuses attaques racistes ; et au même moment, la police harcelait
systématiquement les jeunes d'origine asiatique. Et ces pratiques ont gagné Londres, où le Parti
national anglais s'est mis à agresser les asiatiques dans les quartiers HLM, où il y a une importante
communauté de réfugiés bengalis. Donc nous ne pouvions pas trouver un film plus approprié que "La Haine"
pour montrer ce qui se passe en Grande-Bretagne, et ce qui se passe partout d'ailleurs : ça pourrait se
passer en Allemagne, en Italie, en Norvège, au Danemark, partout en Europe. Et la division dont vous
parliez tout à l'heure entre les gens ouverts et les gens étroits devient de plus en plus évidente
partout ; en Angleterre par exemple, on parle maintenant de faire l'éducation des enfants réfugiés non à
l'école, mais dans les camps. Au Danemark, un réfugié de plus de 60 ans ne peut rien obtenir. Et toutes
ces lois qui gagnent à présent l'opinion "générale" sont des loins instiguées par les fascistes ; c'est
comme si Le Pen proposait toutes ses "solutions" et que Chirac s'alignait en conséquence.
C'est la raison pour laquelle il est si important que vous soyez compris dans votre pays… Si vous ne
dénoncez pas vous, qui va le faire ?
Pandit G : Il y a de nombreuses personnes qui s'organisent dans des associations qui ont un poids
véritable. Ce que nous voulons faire avec ADF, c'est éradiquer certains mythes. Par exemple à propos de
la France on entend dire "tous les Français ont voté Le Pen"… mais des millions de personnes ont
manifesté contre Le Pen, et il ne faut pas les oublier. C'est facile aujourd'hui de dire "il n'y a plus
d'espoir"… l'extrême-droite va être de plus en plus présente, mais c'est à nous tous de nous organiser
contre ça, à travers notre musique, des magazines, ou des sites internet comme le vôtre. Et c'est une
excellente idée d'utiliser toutes les opportunités qui se présentent à nous : la musique aussi bien que
le cinéma. Nous avons joué "La Haine" à Londres et Kassovitz est venu le voir, ça lui a beaucoup plu. Et
il était accompagné de Solo, l'ancien rappeur d'Assassin, qui était chargé de la BO du film à l'origine,
et il a lui aussi beaucoup apprécié.